La « reconstitution » de la bataille est, bien entendu, au mieux une bêtise, au pire une provocation. Un point de vue français sur une défaite française dont les Québécois souffrent encore aujourd'hui.
Faut-il « reconstituer », «célébrer », ou « commémorer » la bataille des plaines d'Abraham, qui vit la défaite des troupes française commandées par Montcalm, en 1759, sous les murs de Québec? On peut regretter que cette controverse, très vive au Québec, soit totalement ignorée par la presse française. Pourtant, les Français auraient leur mot à dire...
A vrai dire, en France et en Europe, ce genre de débat n'existe pas, ou peu, pour des évènements aussi anciens. Ni la célébration de Waterloo, ni même celle de la Révolution Française (pourtant largement postérieures) ne soulèvent de telles polémiques. Les passionnés d'histoire militaires reconstituent parfois, le plus fidèlement possible (comme par exemple, chaque année, la bataille d'Austerlitz); les historiens travaillent de manière assez scientifique; les politiciens font des discours, s'ils peuvent en profiter pour passer à la télévision. Seuls des évènements beaucoup plus récents (l'occupation allemande, les crimes nazis, la guerre d'Algérie, le franquisme en Espagne...) posent des problèmes de « Mémoire », bien que personne ne songe à les « reconstituer » avec des figurants en chair et en os. Mais les livres, les films, les monuments et les cérémonies soulèvent parfois des débats houleux, relayés par les politiques.
Alors pourquoi un événement aussi ancien que la bataille des plaines d'Abraham résonne-t-il dans le champs politique québécois? Tout simplement parce que l'enchaînement d'évènements proprement politiques ouvert par la défaite française de 1759 n'est toujours pas terminé. Le destin du peuple Canadien-Français n'est toujours pas scellé. Le statut définitif du Québec en tant que Nation n'est pas stabilisé. C'est vrai juridiquement, puisque la Constitution du Canada n'est toujours pas acceptée par le Québec, mais cela va bien au-delà. Je me trompe peut-être, mais selon moi, les Québécois, qu'ils soient souverainistes, autonomistes, fédéralistes, indécis ou indifférents, ne sont pas satisfaits du statut actuel de leur pays. C'est ainsi que l'on peut expliquer le refus du Premier ministre Jean Charest d'assister lui même à cette sombre farce de la « reconstitution ». Refus que moi, Français, je ne peux que saluer.
Bien sûr, il ne faut pas refouler son passé! Tous les colloques, livres d'Histoire, livres éducatifs, romans et films historiques sont les bienvenus. Il est même souhaitable que les universitaires et historiens québécois s'expriment largement et fortement sur le sujet, afin d'éviter un discours univoque, sinon dominant et partial, de l'historiographie anglo-saxonne. Cela permettra notamment d'insister sur le fait que la défaite des Français fut claire et nette, mais non point honteuse. Montcalm et ses soldats se battirent héroïquement, lors de cette bataille, moins décisive qu'on ne le dit, et dans les autres. Puis, comme souvent, les politiques ne furent pas à la hauteur des militaires et du peuple. La responsabilité de l'abandon final, au traité de Paris, revient à la Cour et aux « Lumières », les intellectuels de l'époque (Voltaire!).
Par parenthèse, et plus largement, souhaitons que la redoutable puissance de feu des Universités et de l'édition de langue anglaise, notamment américaine, trouve en face d'elle une artillerie à la hauteur, côté francophone et « latin » (j'emploie à dessein des métaphores militaires). Sinon, le terrible adage selon lequel « l'Histoire est écrite pas les vainqueurs » risque de s'avérer une fois de plus exact, sur le sujet qui nous occupe, et sur d'autres.
La « reconstitution » de la bataille est, bien entendu, au mieux une bêtise, au pire une provocation. Surtout si on l'appuie sur des arguments du genre « c'est bon pour le tourisme, ça fera rentrer de l'argent ». Oui, mais on peut aussi vendre sa mère et faire beaucoup d'argent avec... Mais surtout, les historiens sérieux vous le diront, l'Histoire, science modeste, se méfie des « reconstitutions » à l'identique. Elle cherche à mieux comprendre les contextes, à croiser les sources et à expliquer les causes et les conséquences d'un événement. Car nous faussons la claire vision des choses en essayant de « reconstituer » après coup une bataille d'hier, avec les yeux d'aujourd'hui. Quel était l'état d'esprit des soldats? Pour quoi se battaient-ils? Pour la gloire? pour l'argent? pour le Roi? pour le Canada français? Nous n'en savons quasiment rien. Ils n'avaient aucunement l'idée de participer à un « événement historique », sauf peut-être Montcalm et Wolfe. Et encore, ni l'un ni l'autre n'eurent le temps de nous livrer leurs impressions...
Retournons donc à la politique: en réalité, une deuxième bataille des plaines d'Abraham est en cours. Aussi décisive pour le destin du Québec que la première. Mais sans sabres, ni canons, ni fusils. Sans une goutte de sang, et sans garçon de vingt ans s'écroulant sur le champ de bataille ensanglanté. C'est la bataille, toute pacifique, voulue par René Lévesque, la bataille des idées, de la politique, de la démocratie, de la Révolution tranquille et de la Loi 101, la bataille des votes, des élections, des référendums.
C'est la bataille du général, pardon, du cinéaste Pierre Falardeau, qui déclare avec panache « il n’y aura pas de célébrations de la bataille des plaines d’Abraham l’été prochain à Québec ». Son cri de guerre : le tourisme « j’en ai rien à crisser » (dans ce contexte là, car j'imagine qu'il n'a rien contre le tourisme-découverte intelligent), s'adresse bien entendu aussi aux touristes français, qui ne doivent en aucun cas assister bêtement à cette mascarade, mais plutôt, s'ils sont présents au Québec, venir s'y opposer avec leurs cousins réunis sous la bannière fleurdelisée, qui n'est pas un accessoire de théâtre, mais un véritable emblème national.
Cette bataille là, menée par les descendants des Canadiens français et les Français qui aiment le Québec, n'est encore ni gagnée ni perdue. N'en déplaise à Nicolas Sarkozy, c'est celle de la libération définitive du peuple québécois, qui lui permettra, un jour enfin, de rentrer dans l'Histoire, par la grande porte.
Il y a 400 ans, jour pour jour, Samuel de Champlain fondait la « Nouvelle France » en posant la première pierre de la ville de Québec. Aujourd’hui, les Québécois fêtent cette date anniversaire, symbole de leur identité, de leur Histoire, de leur racines. De nombreuses festivités ont lieu au Québec et en France (voir programme dans la colonne latérale).
Samuel de Champlain est bel est bien leur père fondateur et non pas celui du Canada d’aujourd’hui, fédéral, dominé par les anglophones. Le Gouvernement Harper a malencontreusement cherché à récupérer cette fête, provoquant l’ire des Québécois, de toutes opinions politiques (lire à ce sujet cet excellent article du Devoir qui nous explique bien la situation).
Je propose aux Français qui veulent fêter un « bon anniversaire » à nos cousins, de déposer quelques mots d’amitié sur ce blog.
Si Samuel de Champlain revenait aujourd’hui à Québec, en plein quatrième centenaire de la création de son « abitation », il serait sans doute bouleversé. Passons rapidement sur le fait qu’il serait surpris par les voitures, l’électricité, les bateaux à moteurs ... à Québec, comme il le serait à Paris ou à New York. Mais le premier moment de stupéfaction passé, sans doute demanderait-il : « Qu’est devenu le Canada Français ?»
Il y aurait des bonnes et des mauvaises nouvelles.
Côté positif : les Québécois se sont durablement installés sur cette terre difficile au premier abord. Ils sont incroyablement nombreux, preuve que la colonisation s’est finalement bien passée. Ils tirent de leur terre leur subsistance et beaucoup plus. Ils en exploitent les ressources naturelles, les mines, les barrages. Ils ont construit un véritable pays dont ils sont fiers. Ils y ont maintenu la langue française à travers une culture, une éducation, une littérature originales.
Côté négatif, s’il demande à rencontrer son successeur, le Lieutenant-Gouverneur, Champlain serait évidemment effondré de découvrir que celui-ci ne représente pas le Roi de France mais le Roi d’Angleterre ! Les explications historiques, la guerre, l’abandon par la France, la domination par les Anglais, ne feraient qu’ajouter à son chagrin (une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, on lui apprendrait qu’il n’y a même plus de Roi en France).
Mais cet esprit pragmatique autant qu’aventureux n’en resterait sans doute pas là. Il essaierait de comprendre ce qu’est devenu le Canada Français : un royaume ? une République ? un Etat ? une Province ? Vous élisez un Parlement au suffrage universel, dirait-il, mais décidez-vous de tous vos impôts ? Vous avez un gouvernement, peut-il envoyer des ambassadeurs, ne serait ce qu’en France ou chez vos voisins américains ? Ce gouvernement peut-il décider de la paix, de la guerre ou signer des traités et des ententes commerciales ?
Ce qui est fascinant pour quiconque regarde aujourd’hui le Québec, c’est de voir à quel point l’Histoire y résonne au présent. Il est évident que toutes les questions restent ouvertes sur la destinée du pays qui n’est pas « terminé », qui n’a pas trouvé sa structure politique, sa forme définitive, la place dans le monde qui lui conviendrait...
Et vous, Québécois, Français, Canadiens, de tous horizons politiques, qu’avez-vous à dire à Champlain ? C’est le débat que je souhaite ouvrir sur ce blogue, avec les commentaires que voudrez bien apporter à ce premier billet.