Tous ceux qui veulent déposer dans l’urne le 29 Mai un bulletin motivé, et tous ceux qui envisagent de s’abstenir, ce qui n’écarte que les exaltés qui n’écoutent personne, tous doivent examiner de près les arguments des partisans du non.
Nous l’avons fait. Nous disons donc clairement que nous voterons oui, mais que nous sommes reconnaissants à nos adversaires d’avoir renforcé notre conviction. Car si nos critiques parfois se rejoignent, si nos souhaits d’aventure se recoupent, nos conclusions s’opposent radicalement. Nous avons en effet acquis la certitude à les écouter que le non aboutirait exactement au contraire de ce qu’ils en attendent : ce serait un non boomerang, qui raterait sa cible, pour revenir leur exploser à la figure, sans épargner la nôtre, ruinant pour un temps indéterminé les espoirs et les projets de notre pays. Au total, il n’y aura que des mécontents : les partisans du oui, cela va de soi, mais aussi les partisans du non qui se mordraient les doigts de leur triomphe. Voilà pourquoi nous refusons le non, et nous allons préciser nos raisons.
Par Gérard Montassier
Président de la Fondation pour la Civilisation européenne.
Qui donc appelle à voter non ? Les tenants d’une Europe plus sociale, les nationalistes, les calculateurs auxquels on peut ajouter les inconscients et les pêcheurs en eau trouble.
Aux partisans de l’Europe plus sociale, il faut enlever leurs illusions. Leur non ne les conduira pas au but qu’ils recherchent. Les gouvernements de gauche en Europe, qui sont leurs alliés naturels, anglais, suédois, espagnols, allemands…veulent sans exception réformer l’Etat providence et nullement dans le sens du non français. Les programmes économiques de Blair, Schröder, Persson et Zapatero sont, sur ce point , proches de l’UMP, et parfois plus rigoureux. Cela veut il dire que les tenants de l’Europe sociale ont tort de vouloir diminuer le chômage, améliorer le niveau de vie et lutter contre les facteurs d’exclusion : évidemment non, et nous pensons comme eux. Mais aujourd’hui stimuler la croissance et l’innovation, améliorer notre compétitivité, renforcer les positions de notre commerce international, le niveau de nos Universités, le rayonnement de notre culture sont la clé du progrès social. Blair, Persson et Zapatero en sont convaincus, tout comme l’UMP et l’UDF ainsi qu’un très grand nombre de socialistes français. Et ils voteront oui, comme la grande majorité des syndicats européens qui se sont prononcés en sa faveur. Le non social français est donc un cul de sac où s’enferme et se bloque la politique généreuse que l’on entend promouvoir. Ce non social est trop minoritaire en Europe pour faire triompher, non pas ses objectifs, mais ses méthodes. Et ce n’est pas en cassant la barraque qu’on la rendra plus vivable.
Les nationalistes ? Ils veulent la grandeur de la France et préserver son indépendance. Qui ne serait pas de cœur avec cet idéal ? La grandeur , toutefois, ne se décrète pas : elle part d’un grand dessein pour aboutir à une grande réussite. Notre grand dessein national aujourd’hui, ce sont les Jeux Olympiques et l’aménagement des Batignolles, alors baissons un peu le ton. La véritable grandeur de la France aujourd’hui, c’est Airbus, Ariane et Cadarache: des projets européens. Plus jamais la France ne sera à la fois grande et solitaire. Alors cette Europe, il faut l’organiser. Beaucoup mieux qu’elle ne l’est.
L’indépendance, les mains libres ? Ah ! maudite Europe, trop fédéraliste, trop supranationale, disent nos souverainistes, et vive l’Europe des nations indépendantes et souveraines organisant librement leur coopération. A quoi nous répondons : les mains libres, oui, mais pour quoi faire ? Pour établir une paix fragile dans les Balkans nous avons eu besoin d’appeler les américains à la rescousse et nous ne sommes même pas capables de rétablir la paix en Côte d’Ivoire en écartant ceux qui la troublent. Quant à la coopération des Etats indépendants, on le sait, cela ne marche jamais : cela donne la Société des Nations ou l’ONU d’aujourd’hui.
Au fond, ce que veulent nos souverainistes, c’est une Europe à l’anglaise, de préférence sans les anglais. Mais en cassant l’Europe actuelle, ce qu’ils recherchent avec leur non, ils mettront la France hors jeu. Ils l’auront bien, l’Europe à l’anglaise, mais sans les français. Portes ouvertes alors, de surcroît, à la Turquie, dont les anglais sont les plus fermes soutiens, et succès complet pour l’Administration Bush, qui aura ce quelle souhaite : une Europe en morceaux. On voit bien alors qui aura les mains libres : l’alliance anglo-américaine renforcée par son succès. Ce n’est pas ce que veulent nos souverainistes, mais c’est vers cette cascade d’échecs que nous mène leur stratégie. Joli boomerang, non ?
Restent les calculateurs. Ils détestent Chirac, son gouvernement et sa politique. Ils sont de droite, hostiles au chiraco-socialisme, ou du centre, furieux de n’être pas entendus, ou de gauche, exaspérés que celui qu’ils ont élu ne soit pas des leurs et ne fasse pas totalement leur politique. Voter non, pour eux, c’est assommer Chirac, empoisonner la fin de son septennat et peut-être – quel doux rêve – le pousser vers la sortie. Incroyable naïveté ! Si le non l’emporte, Chirac ne se retirera pas, et, soyez en sûrs, il ne dissoudra pas une deuxième fois! Qui ne doute que dans le bouleversement qui sortirait du non, le réflexe légitimiste jouerait et les français se regrouperaient, sans doute pour peu de temps, mais se regrouperaient autour de leur Président. Sinon autour de qui ? Boomerang encore.
Aux antichiraquiens de droite, nous ferons observer que dans cette affaire Chirac fait la même campagne pour le oui que Sarkozy et Bayrou : est-ce le bon moment et le bon sujet pour rompre cette unité retrouvée ? Aux antichiraquiens de gauche, nous rappellerons que s’ils se refusent à voter une seconde fois pour Chirac, ils seront alors condamnés à mêler leurs bulletins à ceux de Le Pen. Encore une grêle de boomerangs.
Quant aux Inconscients…On pense aux agriculteurs, auxquels Chirac a eu bien raison de dire en termes énergiques au Salon de l’Agriculture « qu’en votant non, ils feraient une connerie ». Ils sont les premiers à profiter depuis 50ans de la Politique agricole commune qui reçoit 40% du budget de l’Union, pour laquelle nos gouvernements se sont battus parfois au-delà du bon sens, payant en concessions sur d’autres terrains ce qu’ils arrachaient pour les agriculteurs. Une politique agricole pour l’instant préservée, garantie, jusqu’en 2013 ! Que leur faut-il de plus ? Que nos agriculteurs ne se fassent aucune illusion : le succès du non sonnera le glas de leurs avantages actuels, dans lesquels les adversaires de la PAC, en Europe et en France, seront trop heureux de tailler énergiquement. Juste retour de bâton.
Enfin les pêcheurs en eau trouble. Ce sont les destins politiques ratés, De Villiers, Chevenement, Mélenchon, Emmanuelli, Pasqua, qui ont cru un jour devenir une étoile et que les français ont ramené aux dimensions plus modestes de vedettes départementales. Quant à Fabius et Le Pen, qui sont tout de même d’une autre stature, ils sont condamnés à l’échec perpétuel, ils le savent, et n’ont plus rien à perdre puisqu’ils ont déjà tout perdu. N’oublions pas complètement, enfin, Buffet et Besancenot, ces résidus du marxisme-léninisme, dont les troupes à part à peu près égale avec l’escouade de vrais fascistes abrités au Front National, composent avec eux un systématique Front du refus.
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La France a fait un choix que nous approuvons sans réserve : à défaut de retrouver au lendemain de la seconde guerre mondiale sa grandeur et son indépendance de jadis, elle a voulu s’unir avec l’Allemagne, l’Italie, le Bénélux, puis l’Espagne et le Portugal, pour construire une Europe libre et puissante, active et responsable dans les affaires du monde et capable de construire un modèle social renouvelé. Le projet de Constitution qui l’organise est une étape importante pour réaliser cette Europe, mi-fédérale, mi intergouvernementale qu’elle rend plus simple, plus claire, plus démocratique. Enfin. Il suffit de lire les 60 premiers articles qui disent tout, et qui sont moins longs que la Constitution française. Une Constitution européenne qui a rallié 25 gouvernements qui l’ont signée, ce que n’obtiendront jamais les représentants du non sur leurs projets hétéroclites et contradictoires.
Allons nous distendre le couple franco-allemand, et lâcher aujourd’hui nos plus proches alliés, ceux qui nous ont accompagnés, qui ont partagé les idées dont nous étions avec eux les inspirateurs ? Voudront-ils continuer à les défendre sans nous ? ou de guerre las, finiront-ils par se rallier à l’autre vision de l’Europe, celle de la zone de libre échange sous protection, sinon sous protectorat américain, la conception anglaise que nous avons toujours combattue ? Car pourquoi désormais nous écouteraient-ils, nos partenaires habituels, si nous nous moquons de les entendre ? Nous refusons de toutes nos forces cette défaite en rase campagne, cette France sans alliés, sans espoirs, sans grandeur et sans aucune marge de manoeuvre. Et nous ne désespérons pas d’amener les nouveaux membres à partager nos vues : ils évoluent vite, et plutôt bien.
Cette Constitution est indispensable pour faire fonctionner une Europe politique : la politique, les affaires, le sport, les jeux ont besoin de règles pour exister, mais l’essentiel est l’usage que l’on en fait. L’essentiel est le projet qui anime la politique. L’essentiel sera la vie de l’Union après le 29 Mai, son projet social, qui devra inventer une nouvelle sécurité des hommes dans le travail, son réveil économique, fondé sur la recherche de la croissance à tout prix, et ses initiatives pour commencer à construire une société européenne où les citoyens auront enfin un rôle à jouer, n’en déplaise aux gouvernements nationaux dont la responsabilité est écrasante dans les carences de l’Europe actuelle , qu’ils se gardent bien d’expliquer, encore moins de défendre, car ils n’aiment l’Europe que si elle sert leurs desseins personnels. Pour le reste, ils la détestent en raison des pouvoirs qu’elle leur enlève, et redoutent plus que tout la transparence, qui mettrait en lumière leurs sordides tractations lors des sommets semestriels.
Alors, il faut poser la question cruciale : les partisans du non, qui ne nous proposent aucun contre-projet de Constitution, sont-ils prêts à sortir de l’Union ? C’est en effet cette hypothèse qu’il faut envisager si le non l’emporte, puisque les partisans du non, non seulement ne pourrons rien renégocier, mais ne réformeront pas l’Europe existante conformément à leurs rêves ou à leurs objectifs : ils sont composés de groupes trop nombreux, trop antagonistes, chacun étant trop minoritaire pour espérer rassembler. Que nos partisans du non ne l’oublient pas : hors de nos frontières, ils se retrouveront aux côtés de communistes italiens, de popes grecs, d’ intégristes polonais, de danois et suédois xénophobes et nostalgiques, d’anglais chauffés à blanc contre l’Europe par une presse de caniveau chaque jour plus haineuse. Donc, la logique des partisans du non, ici et ailleurs, serait la sortie de cette Union qu’ils rejettent. Notre conclusion est radicalement opposée : l’Union ne progressera et ne sera réformée que si l’on agit avec les autres en restant dedans. Et la Constitution nous y aidera, car elle simplifie le fonctionnement des Institutions les rend moins technocratiques et leur fonctionnement plus transparent.
C’est au terme de cette réflexion que nous voulons maintenant nous adresser à ceux qui sont tentés par l’abstention.. L’abstention dans un référendum est une position beaucoup plus claire, moins ambiguë que dans une élection classique. Elle signifie précisément ceci : le projet qui m’est soumis n’est pas assez conforme à mes vœux ou à mes idées pour que je le soutienne, mais je ne veux pas aller jusqu’à tout remettre en cause. Nous déplorons cette position, mais nous la comprenons : elle a au moins le mérite de laisser l’avenir ouvert. Elle est néanmoins un avertissement, sévère si le taux d’abstention est élevé, comme c’est généralement le cas dans les scrutins européens. Si le oui l’emporte, comme nous en sommes convaincus, il devra donc être modeste, et s’attacher à la tâche immense qui consistera à donner aux abstentionnistes et à une partie des tenants du non la part de rêve qui doit légitimement leur revenir. Car seule l’Europe nous offre une part de rêve .L’Etat national n’en a plus les capacités : il ne gère que la réalité. Mais que tous veillent bien ne pas jouer avec le feu : on a connu dans l’Histoire, même récente, de fort mauvais calculs, dont ceux qui les ont faits n’ont pas tiré grand profit. Epargnons–nous les boomerangs !
Gérard Montassier
Bravo pour cet excellent analyse. Vous ecrivez de manière non arrogante en faveur du Oui. C'est ainsi qu'il faut faire. Remarquez tout de même le mepris des elites francaises contre les electeurs!
Rédigé par : Marco Andrini | mai 08, 2005 à 04:21 PM