Par Pierre de La Coste
Il existe d'innombrables raisons de voter "non" au réferendum. Et finalement, les partisans d'un rejet de la Constitution n'auront pas manqué d'occasions ni de tribunes pour exprimer leur choix.
La première raison tient évidemment au style adopté par les principaux ténors du "oui". Mépris des électeurs, arrogance, hautaine suffisance, ton paternaliste...on en passe. Si le terme "politiquement correct" a un sens, il résume parfaitement l'attitude de dirigeants, auto-proclamés représentants du peuple, mais qui savent beaucoup mieux que le peuple et avant le peuple ce que le peuple doit dire... Que, selon certains sondages, le peuple ne suive pas ses représentants comme un seul homme, mais qu'il saisisse au contraire l'occasion de les dénoncer, cela les a jeté dans la consternation, ou dans la stupeur.
Une autre série de raisons nous est livrée par l'actualité: directive Bolkenstein, invasion des textiles chinois, mauvais résultats économiques du Gouvernement: autant de raisons de dire "Non" à ceux qui incarnent une politique pro-européenne et d'autre part nous demandent d'approuver cette Constitution.
La dernière série d'arguments, beaucoup plus sérieux, s'attaque au texte lui même (c'est tout de même la question posée). Sur la forme: beaucoup trop long, hérissé de difficultés, illisible pour le commun des mortels. Sur le fond: sortant du strict aspect de la mécanique constitutionnelle, le traité prend des options idéologiques dites ultra-libérales, donc empiète sur le choix futurs des citoyens.
Alors, voter "Non" pour toutes ces bonnes raisons qui semblent s'accumuler comme à plaisir? Le pouvoir de dire "Non", à ceux que nous n'aimons pas. Les politiques qui nous mentent, les patrons qui nous licencient. C'est tellement facile...
Au moment de voter "Non", songeons à une chose: Georges Bush, dans son bureau ovale, une coupe de champagne à la main, célèbrant ce que la guerre d'Irak ne lui a pas donné, mais que lui offrent les électeurs français: la certitude de demeurer (lui et ses successeurs) l'homme le plus puissant du monde. L'unique super-pouvoir, dictant sa loi à la planète.
Voter Non, c'est voter Bush
Oui, je sais, l'argument peut paraître à la fois purement négatif et trop mince, au premier abord, parce qu'il semble ne toucher qu'à la "politique étrangère". Pourtant, il peut faire réfléchir, en cascade, aux arguments du "Non".
Tout d'abord, est-il vraiment raisonnable de sanctionner une classe politique en se servant d'un sujet qui la dépasse, parce qu'il ne touche pas la politique politicienne, mais le destin de notre Continent et les équilibres entre le modèle américain et le modèle européen?
Qu'on le veuille ou non, la question n'est pas tant: "Voulez-vous de cette Constitution?" (c'est la question que l'on poserait si l'on voulait passer à la VIème République) mais bien: "Voulez-vous une Constitution pour l'Europe? une Constitution plutôt que pas du tout?"
C'est dans cet esprit qu'il faut décrypter le texte constitutionnel. Il n'est pas moins clair, moins démocratique, moins social, que le traité de Nice et les textes antérieurs. Si l'on se place du point de vue du citoyen, par définition, rien n'est pire qu'un ensemble de traités qui engage des Etats (même démocratiques), avec un langage d'Etat, et une obscurité voulue, voire souhaitable.
Cette Constitution, qui nous semble opaque, est un progrès par rapport à l'empilement de traités produits par la Construction européenne. Ce timide mais réel mouvement vers la lisibilité, se continue par des améliorations sensibles de la relation entre les Institutions européennes et les citoyens: existence d'un Président incarnant l'union, pouvoirs élargis du Parlement, droit de pétition, etc...
Bien entendu, ces modestes avancées resteront lettres mortes si les peuples ne s'en emparent pas. Mais certains signes, également timides, prouvent que la petite musique européenne pourrait se faire entendre sur la partition imparfaite de la Constitution.
Pardon de reparler encore de la guerre d'Irak. Certains nous disent: l'Europe (telle qu'elle se construit) est divisée face à l'Amérique. Erreur...les gouvernements sont divisés. Mais les peuples, eux ne le sont pas. Les Britanniques eux mêmes, s'ils sont reconnaissants des résultats économiques de Blair (on le serait à moins) se joignent à une nouvelle "opinion publique européenne", toute aussi balbutiante que le reste, mais qui peut trouver souffle et voix dans la Charte fondatrice d'une communauté. Les Espagnols, les Polonais, bientôt les Italiens, quittent l’alliance américaine et rejoignent celle-ci. Ou plutôt ils rappellent à leur gouvernants ce qu'est exactement l'Europe.
Europe réelle, Europe légale
Il est clair, dés lors, que cette Constitution sera ce que nous en ferons, si nous l'adoptons. A elle seule, elle n'est rien. Si elle ne correspond pas à une communauté de destin, elle ne sert à rien. Mais si elle correspond à la genèse de cette communauté, elle a toute chance d'amplifier un processus historique. L'Europe légale rejoindrait l'Europe réelle.
Justement, nous dit-on, il n'existe aucune adhésion véritable à l'Europe, en dehors, peut-être, d'un rejet des choix géopolitiques de l'Amérique. Pas si sur. Il y a rejet des dirigeants, pas de ce que l'Europe nous apporte. Et au fond, que peut-on reprocher à l'Europe actuelle, sinon de mettre la charrue avant les bœufs, tout en allant, malgré tout, dans la bonne direction?
Il existe, par exemple, une immense différence entre les délocalisations vers l'Europe des 25 et vers l'Asie.
A terme, une véritable concurrence au sein de l'Europe est souhaitable et stimulante. A condition de ne pas commencer par brutalement délocaliser ( la charrue...) avant de mettre à niveau les charges sociales (...les bœufs ). Un jour, les Polonais, les Thèques et les Lettons auront des salaires et une protection sociale semblables aux nôtres. Pourquoi? Parce Que, sinon, ils se mettront en grève... L'Europe sociale est possible, mais à une condition, c'est que l'opération se fasse dans l'ordre logique: les boeufs, puis la charrue.
Que les Chinois et les Indiens (ou les Turcs) soient un jour à un niveau de charges et de contraintes comparables aux nôtre, c'est possible. Mais cela ne dépend pas de nous. Trop de différences culturelles, sociologiques, historiques, géographiques nous empêchent de tabler sur un tel rapprochement. Donc, de ce côté là, tout libéralisme a priori est condamnable. Faisons comme tout le monde: libéraux quand cela nous arrange (il faut bien vendre des Airbus), protectionnistes le reste du temps... Aucune Constitution ne nous en empechera.
Adopter cette Constitution c’est faire un signe au monde : l’Europe a décidé de continuer sa marche en avant. Les peuples d’Europe veulent s’emparer d’un morceau de papier et le faire vivre. Pour que l’Europe soit une puissance, pour qu’elle gagne en dynamisme économique grâce à une concurrence loyale au sein de la zone la plus riche de la planète, pour qu’elle détruise en son sein les conservatismes et qu’elle hisse les nouveaux pays entrants au niveau de protection sociale des pays fondateurs.
Et, devant le Parlement de Strasbourg, nous érigerons une statue à Georges Bush, l’homme qui nous oblige à construire une Europe puissance, si nous ne voulons pas devenir américains...
Oui mais…, mais oui !
On nous demande de voter pour ou contre la constitution, étant entendu qu’il ne s’agit pas de voter pour ou contre l’Europe puisque même les tenants du non se disent pour. Pas de problème sur le fond donc, le débat porterait sur la forme. Reste qu’avec la forme c’est parfois le fond qui effleure, et qu’il est ici bien difficile de distinguer les deux.
Premièrement, si la classe politique a une responsabilité, c’est bien celle de ne pas avoir plus sensibilisé les français au projet européen jusqu’à ce jour. D’avoir même régulièrement utilisé l’Europe comme bouc émissaire de tous nos problèmes, les politiques jurant l’un après l’autre « qu’on ne se laisserait pas gouverner par Bruxelles ». Comment donc, même en européen convaincu, ne pas se sentir aujourd’hui manipulé ?
Deuxièmement, ceux qui cherchent à comprendre cette constitution (puisqu’on leur demande de donner un avis dessus) viennent buter sur un texte technique dont la complexité, pour la grande majorité des citoyens, constitue une véritable provocation. Cette deuxième faute politique vient donc un peu plus exaspérer ceux qui sont attachés au respect des formes du débat démocratique.
Alors, finalement, dans toute cette exaspération, comment et sur quoi se décider ?
Peut-être en revenant à quelques principes fondamentaux simples. Imaginer les conséquences d’une France isolée dans un jeu qui se mondialise. Admettre que certains réussissent la où nous échouons, et qu’à plusieurs nous serons plus forts. Reconnaître que cette constitution est le premier élargissement géographique d’une telle envergure qui ne se fasse pas « par la guerre », mais par la volonté des peuples. Accepter la mondialisation comme un fait et admettre que les grands défis qui nous attendent ne se relèveront pas seuls (environnement, énergie, économie, santé, éducation, sécurité, …). N’est-ce pas déjà suffisant pour préférer un grand dessein européen, même imparfait, à une posture figée sur le passé ?
C’est pourquoi je voterai également oui. Un « oui mais », bien entendu, pas un blanc seing, mais un vrai oui d’ouverture adressé à nos partenaires et amis européens.
Rédigé par : Nils Aziosmanoff | mai 09, 2005 à 05:16 PM
Le retour en arrière sera complètement impossible surtout avec un " OUI MAIS " qui sera tout de même un vrai OUI, donc forcément ceux qui comme moi ne sont pas d'accord avec cette Constitution Européenne se prononceront avec la mort dans l'âme, mais même s'ils sont foncièrement Européens convaincus de longue date, pour le " NON " , qui lui permettra de repenser et de remettre à plat dans le bon sens du terme point par point, cette Consitution Européenne dont peu de Français encore à ce jour sont convaincus de son efficacité pour notre pays la France.
Gérard Diaconesco
Rédigé par : Gérard Diaconesco | mai 10, 2005 à 09:25 AM
Reponse a l'alignement des politiques sociales par le haut :
Comme dirait mon petit neveu FOPAREVER
Car l’harmonisation sociale sera tirée vers le bas par le marché intérieur
Le début de l’article III-209 affirme les objectifs louables suivants : promotion de l’emploi, amélioration des conditions de vie et de travail, protection sociale, dialogue social, niveau d’emploi élevé, lutte contre les exclusions. L’article III-209 stipule ensuite : « [...] L’Union et les Etats membres agissent en tenant compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union. Ils estiment qu’une telle évolution [référence aux objectifs mentionnés] résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par la Constitution et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres. » Mais l’article III-210-2a « exclut toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres » par la loi et la loi-cadre européenne. C’est donc le « fonctionnement du marché intérieur » qui non pas « favorisera » l’harmonisation des systèmes sociaux, mais les tirera vers le bas (cf. infra, le chapitre sur la concurrence entre les Etats membres).
Par ailleurs,
la Constitution ne s’applique ni aux rémunérations, ni au droit d’association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out (III-210-6).
Enfin dire que les anglais seraient reconnaissants des resultats economiques de Blair, c'est faire peu de cas de ceux que l'on appelle outre-manche les "working-poors" ou mieux encore de tous ces retraités obligés de continuer à travailler pour vivre, le montant de leur retraite par "capitalisation" n'étant pas suffisant.
Au fait, petite question :
que se passera-t-il quand les générations de re-traités par capitalistion se retrouveront à la retraite, et par définition tous "vendeurs" des actifs qu'ils ont thésaurises?
Rédigé par : baudouin | mai 10, 2005 à 11:22 AM
Baudouin,
Tu es vraiment un dangereux révolutionnaire...
Je ne réponds qu'à ton point 1. Tu es pessimiste. Tu dis que l'harmonisation se fera obligatoirement par le bas. Je ne suis pas optimiste. Je ne dis pas qu'elle se fera obligatoirement par le haut. Il y aura probablement des deux. Un peu de baisse des charges et des prélèvements en France ne nous ferait pas de mal. En ce qui concerne les nouveaux entrants, je pense que l'harmonisation se fera sous la pression des salariés, qui seront plus ou moins efficaces, plus ou moins combatifs. L'harmonisation est un combat.
Rédigé par : Pierre de La Coste | mai 10, 2005 à 04:06 PM
"voter non, c'est voter bush"
alors c'est sur, je vote non !!
Rédigé par : Bushie | mai 10, 2005 à 09:48 PM
je suis désolé, mais ce type d'arguments ne me convainc pas du tout. si le meilleur moyen de lutter contre bush est de devenir pire que lui, alors je prefere encore prendre la nationalité americaine, pour voter aux "vrais elections" (celles qui engagent réellement la planete). nóublions pas que le chemin le plus court, actuellement, vers une harmonisation politique et economique universelle, c'est encore de s'allier aux EU.
si nous choisissons d'aller a contre courant du mouvement de l'histoire en construisant l'europe, cette demarche doit etre motivée par une vision politique alternative. sinon, à quoi bon?
enfin, les arguments avancés dans votre article sont de même nature que ceux des ultra liberaux: faisont une constitution (qui porte surtout sur les politiques economiques), et la communauté politique apparaitra toute seule, comme par magie.
l'experience de l'UE montre pourtant que le soi disant "effet mecanique" attendu par les défenseurs de l'europe economique, se fait toujours attendre. Si on veut vraiment une europe politique, pourquoi la constitution ne la crée-t-elle pas une bonne fois pour toutes? le vocable "constitution" ne sert qu'a faire passer les contraintes de politique économique que les peuples commencent à dénoncer uniformément en europe: "vous ne voulez pas d'une europe des marchés? et bien vous n'aurez jamais d'europe politique!"
le debat est toujours le même: l'europe politique oui ou merde?
pour ma part, la reponse sera "merde".
Rédigé par : jeremie 24 ans | mai 11, 2005 à 11:07 AM
Beaucoup, comme Jeremie, pensent qu'il faut une véritable Europe politique. Comment ne pas être d'accord avec lui ? Mais est-il raisonnable de penser qu'on pourra mettre facilement et rapidement 25 pays d'accord sur le contenu de cette politique ? Ne doit-on pas entrecroiser nos intérêts (ça a commencé par le fer et le charbon il y a 60 ans) et ainsi assurer un socle solide au débat politique (qui ne demande visiblement qu'à se réveiller autour de l'Europe).
C'est pourquoi je voterai oui. Mais je suis heureux de voir un jeune (24 ans) s'exprimer en faveur d'un renouveau politique. La France avait un peu négligé la chose ces dernières années, entre des niveaux d'abstention élevés et un 21 avril humiliant. Hier, un reportage sur ARTE montrait des témoignages de jeunes allemands durant la montée au pouvoir d'Hitler (c'est pas si lointain). Ils étaient alors pasionnés de nature, d'art et d'humanisme, mais "pas du tout intéressés par la politique". Celui qui racontait a ajouté "on aurait du". La messe est dite. Bienvenue sur le blog Jeremie.
Rédigé par : Nils Aziosmanoff | mai 12, 2005 à 12:26 PM
a propos de la paix , qu'en pense nos fréres de yougoslavie.
Qu'est-ce que la constitution aménera de plus si les serbo-croates recommencent à se massacrer gaiement ?
Rédigé par : binos | mai 17, 2005 à 12:59 AM
La Constitution se méle déja de beaucoup trop de choses. On ne doit pas lui demander de régler la question des conflits ethniques en Yougoslavie. Ce qui est certain, c'est qu'une Europe forte, unie, dotée d'une vraie Défense commune serait davantage capable de faire respecter ses valeurs à ses portes. La Constitution n'est qu'un outil, c'est la politique qui pourra régler les questions de sécurité, de diplomatie et de droits de l'homme.
Rédigé par : Pierre de La Coste | mai 17, 2005 à 06:42 PM
Je vote oui, pas pour les partis du Oui (UMP, UDF, PS), ni pour la Commission européenne actuelle. Je vote Oui malgré eux, pour l'Europe.
Rédigé par : Saad | mai 19, 2005 à 07:01 PM