Par Pierre de La Coste
Article publié dans les documents de travail de la Fondation pour l'innovation politique
L’irruption d’Internet dans la campagne présidentielle de 2007 représente une véritable révolution dans la communication politique en France et dans la relation entre les élus, les médias et les citoyens. On n’en mesure pas encore toutes les conséquences, qui seront surtout visibles lors des prochaines échéances, notamment locales et régionales. Quant à l’impact de cette « net-campagne » sur le résultat lui-même, il est réel, mais paradoxal.
Le 28 février dernier, en pleine campagne, la Fondation pour l’innovation politique réunissait des élus et des experts de tous les horizons pour tenter de cerner l’ampleur du phénomène. Sous un titre quelque peu provocateur, – « Internet, futur vainqueur de l’élection présidentielle ? »[1] –, les intervenants ont passé en revue les manifestations les plus spectaculaires de cette révolution : l’explosion des blogs politiques et de la vidéo sur Internet, la transformation en profondeur de l’organisation interne des équipes de campagne, un nouveau champ d’expression pour l’humour et la dérision politique, la rapidité accrue des rumeurs, des informations et des « petites phrases » des candidats.
Les médias traditionnels ont noté ce dynamisme et ont parfois eu tendance à faire du suivisme à l’égard des blogs. C’est pourquoi on ne saurait être d’accord avec Daniel Schneidermann, qui affirme que « les médias en ligne, c’est-à-dire les sites, les blogs, ont raté plusieurs occasions d’acquérir une vraie stature, et d’acquérir une influence qui soit, je ne dirais pas comparable à celle des médias traditionnels, mais disons, en tout cas, de progresser en influence. Je trouve que globalement, dans cette campagne, les médias en ligne sont restés dans leur sphère et n’ont eu que peu d’influence sur le contenu dans les médias de masse. Ils n’ont que peu réussi à bousculer les médias de masse. »[2] S’agit-il d’un mouvement de jalousie, celui d’un journaliste professionnel voyant la spécificité de son travail remise en cause par de simples citoyens ?
Les blogs politiques s’installent
André Santini[3], au contraire, présentait ainsi, lors de la table ronde de la Fondation, le nouveau contexte : « Internet fait partie du paysage médiatique de cette campagne électorale. Je considère qu’il y a quand même des points intéressants pour l’impact de cette technologie sur la vie politique, autour de trois mots-clés : transparence, vérification, mobilisation. La plus grande transparence, c’est-à-dire un accès à toute l’information. Les citoyens qui s’intéressent à la vie politique peuvent aujourd’hui s’informer, forger leur opinion sans l’aide de personne. Il y a les sites officiels des candidats. […] Ségolène Royal consacrait 10 % de son budget de campagne, soit deux millions d’euros, à sa stratégie Internet. Nicolas Sarkozy ne dépense qu’un million. L’expérience américaine nous apprend cependant que les sites officiels sont surtout consultés par les militants et les sympathisants et que, donc, la vraie campagne se passe ailleurs. […] L’un des faits marquants de cette “net-campagne”, c’est l’explosion des sites créés par les médias traditionnels, et surtout par des citoyens, souvent venus, quand même, du milieu de la communication, comme Ipol qui propose même, toutes les semaines, un journal vidéo de campagne. »
Aujourd’hui, les résultats connus, peut-on affirmer sans crainte qu’Internet sort « vainqueur » des élections ? oui, parce qu’il a sans doute contribué à augmenter l’intérêt des citoyens pour la politique, qui se traduit par des chiffres de participation exceptionnels ; oui, parce qu’il a ouvert largement la parole aux citoyens, associés comme jamais auparavant au débat électoral.
Selon Stéphane Grégoire[4], « sur Internet, le pluralisme est en quelque sorte autocontrôlé. C’est un moyen d’expression peu cher, qui permet à tout le monde de s’exprimer, à armes égales. On peut recruter des blogueurs de la même façon, disposer des mêmes compétences à travers le bénévolat, même si l’on est un petit candidat. Il n’y a pas de rareté de la fréquence ou du temps. Et de ce point de vue-là, le pluralisme est en principe garanti par le média lui-même, par l’accessibilité de ce média ». Et Quitterie Delmas[5] ajoutait à sa suite : « Ce n’est pas Internet qui va être le vainqueur de l’élection présidentielle, ce sont les internautes citoyens. »
En ce qui concerne l’impact de cette « net-campagne » sur le résultat lui-même, on peut considérer qu’il est réel, mais largement paradoxal.
« Victoires à la Pyrrhus » pour Ségolène Royal
La net-campagne la plus révolutionnaire a sans aucun doute été celle de Ségolène Royal. Le concept de blog politique correspond à merveille à celui de « démocratie participative », comme outil privilégié et comme illustration. La volonté de rompre avec les appareils et les fameux « éléphants » du PS trouve également des échos dans la prise de parole des citoyens-internautes, ces non-professionnels de la politique. Ainsi, le site Désirs d’avenir[6], indépendant du PS, a-t-il été le navire amiral d’une flottille de blogs, animés par de nouveaux militants, souvent enthousiastes. La méthode d’élaboration du programme et des propositions en a elle-même été bouleversée.
Comme le soulignait un autre intervenant le 28 février, Maurice Ronai[7], à propos de la campagne de la candidate socialiste, « le moment clé, c’est cette phase qui s’est étalée sur six semaines, au cours desquelles étaient organisés sur le territoire 6 000 débats, qui tous ont donné lieu à des comptes rendus qui ont été analysés, lus ; et puis ces 135 000 contributions, qui ont été déposées, elles, sur une période qui s’étale sur un an. L’une des règles d’or qui avaient été posées au départ – mais qui explique aussi, finalement, le succès de cette expérience en grandeur réelle de démocratie participative ou de démocratie élaborative – était que, de manière systématique, tous les messages étaient lus, tous les messages étaient analysés et l’engagement avait été pris que les forums participatifs donneraient lieu à un retour sous forme de synthèse et sous forme de textes dans lesquels Ségolène Royal exposerait ce qu’elle avait retenu du débat ».
Le paradoxe, c’est que cette utilisation très avancée du Net a contribué à aggraver les points faibles de la candidate : la formule « Vos idées sont les miennes », credo de la démocratie participative, est une arme à double tranchant. Elle traduit aussi un certain manque d’idées directrices, de ligne politique claire ; elle semble expliquer les hésitations, les revirements, les flottements. Internet a été l’un des moyens utilisés par la candidate pour s’affranchir de la machine électorale de son parti, mais l’absence d’articulation entre les équipes rivales apparaissait de manière encore plus criante sur le réseau...
Tous les points marqués par Ségolène Royal sur Internet n’étaient donc, selon nous, que des victoires à la Pyrrhus, c’est-à-dire de ces batailles gagnées qui finissent à la longue par faire des défaites…
Notons que Maurice Ronai, lors de la table ronde, s’était déjà inscrit en faux contre cette objection : « Il n’avait jamais été dit, au départ, que le programme de Ségolène Royal serait élaboré par les citoyens et qu’on partait de zéro. Il avait été dit d’emblée que le socle, c’était le projet socialiste, et que, par contre, ce projet serait enrichi à travers les débats. Et si vous prenez connaissance de l’ouvrage en ligne aujourd’hui, qui rassemble les contributions, les synthèses et qui décrit le processus, on voit que ce pari, qui était de faire appel aux gens pour enrichir un programme, est, je pense, pour une assez large part réussi. Finalement, il y a un certain nombre de propositions dans le pacte présidentiel dont je suis convaincu, dont il est avéré – et c’est à peu près documenté – qu’elles viennent des débats participatifs. […] Là où les débats participatifs ont joué un rôle, c’est dans la hiérarchisation, et parfois même dans les formulations, puisqu’on a veillé, de bout en bout, à conserver un lien entre les idées des gens, les propositions, et les formulations, les verbatim, jusqu’au lien réel avec la contribution d’origine. Donc, en fait, on peut reconstituer le trajet entre une proposition, les formulations intermédiaires et la contribution initiale. […] La traçabilité est assurée et confère à ce processus participatif un caractère open source[8]. »
En face, les équipes de Nicolas Sarkozy se sont montrées beaucoup plus classiques. Le message politique est clair, il vient d’en haut, et les e-militants sont chargés de le relayer, de l’expliquer sur ce nouveau « terrain » qu’est Internet, mais sans le modifier ni le discuter. Néanmoins, Internet lui a permis d’améliorer encore son image moderne, dynamique, énergique, comme en témoigne le soutien d’un blogueur de poids, Loïc Le Meur[9], qui a su attirer des personnalités d’Internet, entrepreneurs, créatifs ou pionniers, souvent classés à gauche, grâce à un appel lancé sur son blog.
François Bayrou, « le troisième homme », s’en est bien tiré, en palliant son manque de moyens par le cyber-militantisme. D’une certaine manière, il a pris la place occupée par le Front national, qui jadis, s’estimant mal aimé des médias traditionnels, donnait rendez-vous à ses électeurs sur le réseau. Cette fois-ci, le candidat « hors système » – donc boudé par la télévision –, c’était Bayrou et cet argument se retrouvait dans le ton très incisif des blogs de ses partisans.
Comme l’affirmait Quitterie Delmas, qui « souhaite dépasser le clivage gauche-droite, comme François Bayrou » : « Internet permet de montrer de nouveaux visages des acteurs. Je rencontre beaucoup de jeunes militants dans d’autres partis politiques, qu’ils soient à Cap 21, au PS, à l’UMP, qui, comme nous et de manière involontaire, ont été un peu instrumentalisés par les états-majors des partis politiques. Finalement, on se rend compte qu’en parlant entre nous, via Internet, on a des passerelles à faire, en tout cas qu’on se bat tous dans le même sens. […] Pour moi, les vrais perdants de cette campagne sur le Net, justement, ce sont les appareils politiques qui sont assez fermés. Et là, on voit que même les grands médias, le système médiatique et le système politique, qui avaient un peu tout verrouillé, sont un peu dépassés par les événements. »
Quant aux petits candidats, Internet leur a sans doute servi à faire mieux avec moins, à accroître leur visibilité, à faciliter la chasse aux signatures, mais ce dynamisme a été de peu de poids face à un phénomène qui n’a rien à voir avec Internet et qui les a balayés : la dynamique du vote utile.
Une répétition générale ?
Il faut bien entendu se tourner vers l’avenir : celui très proche des élections législatives, mais surtout celui de toutes les élections futures. À terme, la vie politique devrait être profondément bouleversée par ces nouvelles technologies.
Première remarque : cette première vraie campagne sur Internet est sans doute une mine d’or pour les historiens, les politologues, mais aussi les simples citoyens. À condition bien sûr que la « mémoire de la campagne » ne soit pas effacée, que les sites et les blogs officiels soient correctement archivés, Internet permet à tout un chacun de rappeler les promesses des candidats, élus ou non, de citer les anciens programmes, de mesurer les évolutions parcourues, etc. Le site de l’INA[10] devrait être chargé de cette mission, ce qui n’empêche pas les partis et les internautes d’assurer eux-mêmes la conservation de leurs propres archives.
Il est une autre conséquence imprévue de cette intense net-campagne. Comme on l’a vu, Internet a servi et transformé la politique. Mais l’inverse est également vrai. La campagne a probablement servi à attirer de nouveaux internautes et contribue à l’essor d’Internet en France. Dans les familles, les entreprises et les partis, les réticents et récalcitrants à la ferveur numérique ont bien vu qu’un citoyen « actif », qui « pèse » sur les choses, est un citoyen connecté.
En revanche, on peut regretter qu’Internet, ou les technologies de l’information, en tant que sujet politique (c’est-à-dire faisant l’objet d’un programme et de possibles évolutions législatives) n’ait pas été évoqué comme une priorité par les candidats eux-mêmes – même si des propositions intéressantes existaient dans les programmes, notamment dans celui de Ségolène Royal. En réalité, tout laisse à penser que les politiques français se sont emparés d’Internet avant tout comme d’un instrument électoral…
Il est possible aussi que cette campagne soit la répétition générale des prochaines échéances électorales. La politique française est entrée dans l’ère numérique. Internet citoyen jouera un rôle de plus en plus important. Aux législatives sans doute, mais surtout lors des prochaines élections locales et régionales. On peut par exemple penser que Ségolène Royal s’est trompée de campagne, et que la démocratie participative convient beaucoup mieux à des élections municipales que présidentielles.
Même si l’on admet avec Maurice Ronai que les blogs sont sans doute utiles pour faire émerger des idées sur les questions sociales, familiales, sur les besoins quotidiens de la population et sur les services publics qu’elle réclame, en ce qui concerne les grands sujets de la présidentielle – la défense, la politique étrangère, la dette, la réforme de l’État –, on attend d’un candidat qu’il présente des idées personnelles, qui seront certes commentées sur les blogs, mais qui n’en émanent pas.
Interpeller un maire ou un président de région sur son bilan, ses promesses, son budget, l’augmentation des impôts, les équipements locaux, paraît bien plutôt la mission dévolue aux blogs citoyens, implantés dans la vie associative et locale. André Santini, dont la commune est pionnière en la matière, s’interroge : « Lors des municipales, combien d’élus oseront installer un site, combien d’élus oseront dialoguer ? Dans ma petite mairie, où il y a quand même 75 % des gens connectés à Internet en individuel, nous recevons 2 200 mails par jour. Pour tout ! […] C’est le bec de gaz à tel endroit, c’est le nid-de-poule à tel autre, c’est la demande de places en crèche. Et nous avons dû mettre de nouvelles méthodes de travail au point. On a mis beaucoup de temps à trouver les moteurs de recherche pour répondre aux gens dans les vingt-quatre heures. Parce que si vous n’actualisez pas le blog, il est rapidement obsolète et il devient même contre-productif. »
De plus, les blogs citoyens, non officiels, inciteront probablement les sites Internet officiels des collectivités locales à plus de transparence et à moins de publicité en faveur des élus en place. Personne ne saurait s’en plaindre…
Internet, un révélateur
Thierry Vedel[11] rappelait, en conclusion de la table ronde, « qu’Internet accompagne plus qu’il ne provoque ou qu’il ne crée véritablement une aspiration à de nouvelles formes de militantisme. Ce que montrent beaucoup d’études portant sur l’action politique, c’est qu’aujourd’hui, les citoyens, particulièrement les jeunes citoyens, ne veulent plus faire de la politique comme on en faisait dans les années 1960 ou 1980. La conception un petit peu sacrificielle de l’action politique, disparaît. Les gens veulent des formes d’engagement beaucoup plus flexibles, souples, contractuelles. Et Internet, je crois, est un outil idoine pour cette nouvelle forme d’activité politique ».
André Santini prédisait, lui : « Même si Internet ne joue pas encore le rôle de la télévision des années 1960, nous comprenons bien que ce temps viendra, d’où mon optimisme indécrottable. »
Internet est un révélateur qu’il faut prendre avec beaucoup de sérieux, mais aussi avec beaucoup de précautions, tant il est, par essence, et dans tous les domaines (celui-là comme les autres), paradoxal. Il a peut-être le mérite de montrer ce que presque personne, parmi les responsables politiques, ne veut voir : les évolutions profondes et les attentes de la société…
Pierre de La Coste
Consultant, écrivain
blog : www.hyper-republique.org
(encadré)
Net-campagne, mode d’emploi
L’intrusion d’Internet dans la campagne électorale bouscule le cadre juridique de l’élection. Le Forum des droits sur l’Internet[12] a donc mis en place un Observatoire de la web-campagne, coordonné par Stéphane Grégoire, et publié un certain nombre de fiches pratiques. Voici, à titre d’exemple, ce que répondait l’Observatoire à la question « Les règles du code électoral s’appliquent-elles à mon blog ? » :
Ø Le code électoral ne vise pas uniquement les candidats ou les responsables politiques. Certaines des règles ont vocation à s’appliquer, sans distinction, à tous ceux qui utilisent des moyens de communication au public en ligne, et notamment les blogs, forums et chats publics.
Ø Le compte à rebours est enclenché à partir du 1er janvier 2007 pour la présidentielle. À cette date, le Forum des droits sur l’Internet recommande aux candidats de ne plus utiliser de procédés de publicité commerciale pour faire de la propagande électorale (liens sponsorisés, bannières, annonces contextuelles…). Ceci est également valable pour les blogueurs ! Mieux vaut donc s’abstenir d’acheter des liens sponsorisés pour mettre en avant son candidat. Vous pouvez évidemment continuer à mettre des liens simples vers les sites de votre candidat et à lui apporter votre soutien.
Ø La campagne officielle commence deux semaines avant l’élection. Sur les radios et les télévisions, les temps de parole et d’accès aux médias sont étudiés à la loupe. Sur le Net, tout le monde peut continuer à s’exprimer sans contrainte. Le pluralisme sur le Web n’est pas contrôlé comme à la télévision […]. Les podcasts des candidats et vos vidéos ne sont pas comptabilisés dans les temps de parole car, au regard de la loi, il ne s’agit pas de services audiovisuels. Les [médias] exclusivement accessibles sur le Net ne donnent lieu à aucun contrôle du CSA sur le temps de parole.
Ø À J-1, le 21 avril 2007 à 00 h 00, toute diffusion d’un message de propagande électorale est interdite sur le Net comme dans la presse ou sur les télés et radios. Les sites des candidats restent accessibles mais ne doivent plus être modifiés. La même interdiction touche les sondages dans les mêmes délais. Mais ce qui a été publié n’a pas à être retiré.
Ø Attention, l’interdiction posée par l’article L. 49 du code électoral est sanctionnée par une amende de 3 750 euros. Le mieux est encore de ne plus actualiser son site à partir du 21 avril 2007 à 00 h 00 et de désactiver les outils dynamiques de publication pour ne plus publier de message de propagande électorale.
Comme on le sait, une polémique s’est installée pendant la campagne sur la question de la publication des sondages par les sites Web des journaux étrangers (notamment belges et suisses francophones), ceux-ci n’ayant aucune raison de se soumettre au droit français. Une situation d’autant plus choquante que ces sites ont parfois diffusé des SMS payants avec les résultats des sondages interdits…
[1] Une vidéo de cette rencontre est disponible sur www.fondapol.org.
[2] Le Monde du 11 mai 2007.
[3] Député, maire d’Issy-les-Moulineaux.
[4] Juriste, chargé de mission au Forum des droits sur l’Internet.
[5] Animatrice du blog Les jeunes libres.
[7] Délégué national du PS aux nouvelles technologies.
[8] Par référence à l’informatique open source, c’est-à-dire dont les codes sont ouverts et transparents.
[10] Institut national de l’audiovisuel : www.ina.fr.
[11] Chercheur au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po.
Les nouveaux weblogs de la vie publique ou le retour à Versailles
On savait déjà que certains adoraient les carottes râpées et Star Academy : ils n’étaient donc pas devenus chefs de gouvernement pour rien. Que l’on se rassure, on ne va pas tarder à en savoir davantage.
Les plus optimistes parleront d’émergence de l’agora électronique [1], d’autres craindront le pire devant la naissance de la blogosphère française. Si nos hommes politiques sont allés chercher l’idée aux Etats-Unis (ils auraient pu s’inspirer d’excellentes réalisations en Europe), une première différence s’impose immédiatement : il est de coutume, dans les blogs américains, de conserver en ligne l’ensemble des envois, quelques soient les opinions émises par les auteurs des textes envoyés ; certains de nos responsables publics ne partagent malheureusement guère ce respect de l’avis de chacun, arc-boutés sur les vielles pratiques de l’interdit et du défendu républicains - on ne montre pas, on ne dit pas, on n’est pas…-, pratiques de cour, s’il en est, qui paraîtraient même parfaitement rétrogrades à un Saint Simon aux aguets des moindres faits et gestes signifiants des courtisans de Versailles.
On se met ainsi à rêver, pratiquant une prospective rétrospective - pratique, que l’on nous pardonne cette formule, si chère par les temps présents aux consultants organisateurs de colloques internationaux (quoique réservés aux intervenants français) sur l’avenir de nos villes… « Le bon vieux temps de 2020 » aurait ainsi été un bien meilleur titre pour l’une des journées à laquelle il nous a été donné récemment de participer.
Ah, si Monsieur de Saint Simon, en lieu et place de ses Mémoires, nous avait écrit son blog. La monarchie louis-quatorzienne ne paraîtrait-elle pas, au travers d’un weblog sur Internet, bien plus démocratique que nos actuels roitelets ? Peut-être bien que nous l’écrirons un jour, en traversant, armés d’un photophone, la Galerie des Glaces ou le Potager du Roi.
Nous nous rappellerons toujours à ce propos de ce grand savant européen que nous accompagnâmes il y a peu à Versailles, et qui, alors que nous dissertions du jardinier du roi, lâcha sans le moindre avertissement ni la plus petite précaution rhétorique : « Chère amie, mais que font-ils au Quai Conti ? », puis : « Pourquoi ne s’interrogent-ils pas, maintenant qu’ils ont parmi eux votre ancien président, sur la perte de sens du mot Futur dans la langue française ? ». Et enfin, au bout d’un soupir que ne renieraient pas les meilleurs acteurs de théâtre : « Pourquoi avez-vous aujourd’hui tant peur dans ce pays ?... peur de l’avenir, crainte de perdre vos places…Pourquoi donc décliner ainsi votre avenir au présent ? ».
Un long silence s’en suivit et nous repartîmes pour Paris. Depuis, en parcourant les weblogs de quelques politiciens, il nous est difficile de ne pas voir là en effet une autre différence avec l’agora électronique américaine.
Laura Garcia Vitoria
[1] Laetitia Mailhes, Les Echos, 3 mars 2004
http://www.arenotech.org/tribune_libre/weblog_vie_publique/weblogs_vie_public.htm
Rédigé par : laura garcia vitoria | mai 18, 2007 à 04:25 PM