Par Pierre de La Coste
Dur pour moi d’écrire sur le sujet. Pourtant il le faut ! Est-il besoin d’en rajouter sur l’impact d’un certain petit film circulant sur Internet ? Oui, car malgré la pléthore de commentaires, certaines conséquences de l’évènement n’ont pas encore été abordées en profondeur.
wikimédia
Ce fichier vidéo va entrer dans la mémoire collective, française et probablement internationale, via ce véritable système nerveux de la conscience globale qu’est Internet. « Casse-toi, pauvre con » va s’enfoncer comme un clou, dans nos cervelles particulières, plus sûrement que « Vive le Québec libre », « Je vous ai compris », « Les Français sont des veaux » du Général de Gaulle, ou « Alea jacta est » de César. Seriez vous capables de dater ces mots célèbres ? en rappeler exactement le contexte ? Non. Pour l’incident du salon de l’agriculture, il sera à tout moment possible de se reporter à l’original numérique exactement dupliqué sur le réseau. Seule limite à l’impact aussi durable que dévastateur de ce fichier vidéo, l’inflation de vidéos du même type (émanant de tous types de gens célèbres) qui vont peut-être en atténuer la célébrité regrettable. Celle-ci se mesure au nombre de téléchargements et les records en la matière vont être rapidement battus. L’oubli va peut-être venir de la banalisation.
En attendant, la formule présidentielle va évidement avoir des conséquences concrètes. Imaginons le tableau. « Casse-toi pauvre con ! » sera le slogan implicite de la campagne municipale contre les maires UMP ; on verra des adolescents de banlieues attaquer les policiers aux cris de « Casse-toi pauvre con ! » ; des élèves dans les écoles diront à leur professeur « Casse-toi pauvre con ! ». D’une manière générale, le mouvement en faveur du retour des « repères », des « valeurs », du «respect », de « l’autorité », dont la nécessité est ressentie très largement, y compris à gauche, par exemple dans la bouche de Ségolène Royal, va être affecté, contredit. Les mots du Chef de l’Etat, symbole même de l’autorité et repère des repères, vont ouvrir une contradiction terrible entre ce qui demeure nécessaire et les arguments utilisés pour l’exprimer et le défendre.
Plus personne ne peut maintenant contester l’impact inouï de l’Internet sur notre vie politique, par l’information sans limite des citoyens, et donc la modification de notre système de démocratie représentative par une vague puissante de démocratie directe. Il faut dés lors prendre en compte ce que l’on doit appeler une démocratie électronique en marche, pour le meilleur et pour le pire.
Ce n’est pas tout ! Sans vouloir défendre Nicolas Sarkozy, n’oublions pas de bien examiner la vidéo en question. Ce qui s’est passé exactement, sur place, n’aurait pas prêté à conséquences il y a quelques années ... que dis-je quelques années, quelques mois !
Le président, insulté, murmure, comme s’il se parlait à lui même, des mots agressifs d’une assez grande banalité. Hors caméra numérique, il est audible à 1 mètre 50 maximum. Pendant toute la longue carrière de Nicolas Sarkozy, un propos public, c’est un propos tenus devant un micro, bien visible, placé à 10 cm de lui. Ce n’était pas le cas. On peut soutenir que même dans un lieu public, il existe une sphère d’expression privée, forcément liée à l’appréciation de l’individu concerné. Nicolas Sarkozy n’avait donc pas l’intention d’insulter publiquement l’homme aux lunettes. Et c’est important l’intention, dans notre droit...tuer un homme avec ou sans intention, ce n’est pas la même chose.
Le Président n’a pas été « piégé », puisque le caméraman n’en avait pas l’intention (lui non plus). Mais il a été entraîné dans un de ces déplacements de frontière brutaux et imprévisibles entre sphère d’expression publique et privée, induit par Internet et qui nous guette tous. J’ajouterai donc un peu de responsabilité du Président sur le thème de la non maîtrise des technologies nouvelles et je lui en enlèverai beaucoup sur celui de l’intention d’insulter grossièrement un quidam en public.
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