Je suis arrivé en retard au somptueux dîner offert par la mairie de Paris aux membres de l’ICANN mercredi dernier, sous les dorures et les fresques pompeuses des salons de l’hôtel de Ville. Un haut responsable du nommage Français m’avoue qu’il a prononcé son discours introductif en anglais et qu’un autre haut responsable du ministère des affaires étrangères a été jusqu’à répondre en anglais également, à Eric Besson, Secrétaire d’Etat chargé du numérique..
Il n’y a pas d’excuse à une telle attitude. Parler en anglais, lorsque l’on est Français, en France, dans une enceinte publique française devant un ministre français, c’est se soumettre volontairement à une dictature linguistique que rien ne justifie, c’est accepter l’appauvrissement culturel de la planète et de l’Internet, c’est enfin courir le risque de voir, à terme, notre langue incapable d’exprimer les concepts les plus pointus des nouvelles technologies. Que pensaient nos amis du Québec, du Maghreb, de l’Afrique francophone, venus en nombre à la réunion ? Sans compter quelques anglophones courtois qui avaient pris soin, lors des débats de prononcer quelques mots en Français ?
L’amertume est d’autant plus forte que sur le fond, la position française progresse, comme en témoigne, précisément le discours d’Eric Besson à l’Hôtel de ville, portant notamment sur la « transition » statutaire de l’ICANN, dont le ministre français se réjouit, mais en poussant plus loin l’avantage : « Transition, donc, mais transition vers quoi ? Il s’agit à nos yeux de placer l’ICANN sur sa trajectoire de viabilité à long terme ; il s’agit de l’adapter à un environnement qui a considérablement évolué depuis sa création ; il s’agit enfin de la rendre capable de traiter les problèmes nouveaux liés au développement rapide de l’Internet et aux transitions que je vient d’évoquer. Ceci demande des évolutions substantielles et ne correspondra pas au seul achèvement de l’accord en cours. »
Il s’agit là d’une réponse claire aux débats du jour même (voir mon précédent billet). Il existe des alternatives crédibles et efficace à la simple tutelle du Gouvernement américain. Néanmoins, une question se pose (et l’on en parlait beaucoup, mercredi, une coupe de champagne à la main) : malgré les véritables enjeux discutés lors de la « réunion de Paris » (noms de domaines génériques qui risquent de coûter cher, noms de domaine avec des caractères spécifiques...) l’ICANN dispose-t-il toujours d’un réel pouvoir, est-il toujours ce « gouvernement de l’Internet » ? ne serait-il qu’un « rideau de fumée » destiné à masque les grandes manœuvres des véritables acteurs industriels et politiques ? Dans ce scénario, l’aigle chauve relâcherait ses serres, parce que l’ICANN ne serait plus qu’une coquille vide.
Les Québécois ont probablement été quelque peu choqués par cette approche. Elle n’est pas unique car j’ai vu la même approche à d’autre conférences Européennes ou il y a nette prédominance de l’anglais. Il faut certes admettre que la langue « commune » dans une conférence internationales est l’anglais. Il n’y a cependant pas de raisons valables pour que des politiciens oublient leur langue maternelle!
La situation est quelque peu différente au Québec et à Ottawa. Dans un environnement de dualité linguistique très accentué et ou la défense du français est une question de survie, il est impensable que deux politiciens Québécois se parlent en anglais devant un public, quel qu’il soit. De la même manière un politicien d’Ottawa participant à une conférence qui se tient à Québec se doit de prendre la parole en français ou dans les deux langues – l’unilinguisme anglais étant mal vu au Québec. Ceci étant dit, il est cependant clair (lors de conférences nationales et surtout internationales) que l’anglais sera prédominant. Il faut cependant noter que toute conférence qui se respecte offrira des services de traduction simultanée pour les plénières et souvent pour les ateliers. C’est ce que j’ai fait à l’occasion de toutes les conférences que j’ai organisé (environ 10 – jusqu’à 400 participants). Le conférencier parle dans sa langue maternelle, les traducteurs fon le reste. Parler anglais ne fait pas BCBG pour les Québécois, c’est un outil de communication.
Il y a aussi au Québec et au Canada des lois, politiques et directives concernant à la fois la protection du français et le bilinguisme d’état. À ce chapitre je dois dire que le Québec à un meilleur dossier qu’Ottawa qui est tout de même pas trop mal.
Le commentaire « courir le risque de voir, à terme, notre langue incapable d’exprimer les concepts les plus pointus des nouvelles technologies « est particulièrement important. L’office de la langue française du Québec fait un travail remarquable dans ce domaine.
En conclusion je dirais que tout débat sur la langue française au Québec est émotionnellement chargé. Sans la langue pour nous unir et nous définir, le Québec n’existerait plus depuis longtemps.
Rédigé par : Réjean Gravel | juillet 02, 2008 à 12:14 AM
Bonjour Pierre,
A ce sujet, peux tu nous rappeler la loi concernant l'utilisation du français dans la communication publique et donc les sites publics ?
Amicalement,
Florence
Rédigé par : Florence Durand-Tornare | juillet 02, 2008 à 12:17 AM
Florence,
Il s'agit de la du 4 aout 1994 dite loi Toubon, dite également loi "all good", dont la Délégation Générale à la langue française rappelle les dispositions particulières s'appliquant aux services publics:
http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/lois/presentation_loi_2.htm#ancre836517
Tu vois, Réjean, nous avons nous aussi des lois mais nous ne les appliquons pas!
Pierre
Rédigé par : Pierre de La Coste | juillet 02, 2008 à 12:27 AM
Edvige, la même chose qu'Hadopi, ou les dérives du paquet Telecoms en premier vote DEMAIN, exactement les mêmes objectifs, habillés différemment.
http://www.syndicat-magistrature.org/spip.php?article729
En tant que simple citoyen mais respectueux de la république et de la démocratie, j'ôte à tout politique ayant pris position pour ou s'étant abstenu de prendre position contre ceci, toute légitimité à représenter le peuple français.
Rédigé par : Jm | juillet 06, 2008 à 05:24 PM