Par Pierre de La Coste
Article publié sur le site tuviens.fr de Nathalie Kosciuszko-Morizet, en réponse à la question "Quelle gouvernance internationale pour Internet?"
Le « Cloud computing », dont on parle de plus en plus, est une révolution beaucoup plus importante, pour l'Internet, que le « Web 2.0 ». Celui-ci est une révolution des usages, alors que le Cloud computing (traduisons: «informatique dans le Nuage », mais, malheureusement, la langue française perd sa capacité à exprimer des concepts technologiques nouveaux...) est une révolution dans les infrastructures.
Les deux se situent donc à des niveaux différents et se confortent mutuellement. C'est en grande partie parce que le web2.0, par son côté convivial, a achevé de populariser l'internet et a séduit des non-professionels et le grand public, que les entreprises ont découvert de nouveaux marchés de masse et que les infrastructures du Réseau doivent s'adapter.
Le Cloud (puisqu'il faut parler ainsi), en effet, permet de faire plus et mieux, pour moins cher, sur Internet. Il permet d'éviter le gaspillage des ressources (humaines, financières et environnementales) que représente l'augmentation exponentielle de la puissance des ordinateurs personnels, rendue obligatoire par l'empilement permanent de nouveaux outils et logiciels.
Avec le Cloud, l'intelligence est désormais dans le réseau. De très nombreux utilisateurs peuvent faire fonctionner à distance, en même temps, les mêmes logiciels. Mais pour y parvenir sans embouteillage aux heures de pointe, l'hébergement de cette puissance logicielle doit d'être assurée de manière mutualisée: des techniques nouvelles permettent d'aller chercher la puissance de calcul et l'espace disque des serveurs là où il est disponible à un moment donné, dans le « Cloud ».
Il est clair que la possession ou la maîtrise de telles infrastructures est stratégique. Le Cloud est d'abord source de croissance et d'emploi: il existe des besoins nouveaux, qui ont leur marché, du fait du web2.0 et d'autres phénomènes comme l'internet des objets et l'internet mobile. Mais le contexte de crise financière freine les investissements. Le Cloud, qui permet d'être plus efficace pour des coûts inférieurs, permet donc de faire sauter l'un des verrous qui empêche le retour de la croissance dans les TIC (qui représentent elles-mêmes la moitié de la croissance en Europe).
Comme toujours, derrière l'économie, il y a la politique. Tout d'abord, pour les Etats, la capacité à encourager la création de cette nouvelle infrastructure, orientera la localisation de la croissance et des emplois. Les Etats-Unis sont à l'origine du lancement d'Internet première génération. Et la croissance des Google, Yahoo, Ebay et autres, ainsi que des Microsoft, IBM, etc, qui ont pris le train en marche, a d'abord bénéficié à l'Amérique du Nord. Nous sommes dans une situation analogue aujourd'hui.
Mais le Cloud amènera tôt ou tard des questions de gouvernance, c'est à dire d'organisation juridique et politique de l'Internet. C'est un sujet crucial, mais difficile à médiatiser, qui semble rebutant et technique à beaucoup. La plupart des internautes pensent que l'Internet, « ça marche tout seul » et que « c'est gratuit ». Deux opinions courantes, aussi fausses l'une que l'autre et qui permet à l'ICANN, émanation du gouvernement américain, et à son prestataire, la société Verisign, d'opérer dans la plus grande opacité.
Avec le Cloud, les questions vont revenir, avec encore plus d'insistance et concerner des intérèts encore plus stratégiques : qui contrôle les données hébergées ? Quelle confidentialité pour les données personnelles? Quel est leur statut juridique? Quelle loi s'applique? Le Cloud est-il « neutre » (c'est à dire est-ce que toutes les technologies, tous les formats, y sont acceptés sans favoritisme)? Comment y pourchasser les contenus illicites?
Il se pourrait bien que prochainement la gouvernance « classique », de l'Internet, incarnée par l'ICANN, perde peu à peu de son importance réelle. Nous en serons immédiatement informés. Le jour ou les américains diront aux européens et au reste du monde: « rentrez dans l'ICANN, chers amis, et partageons la gestion des noms de domaines et autres questions annexes ». Ce jour-là, c'est certain, le vrai pouvoir sera ailleurs.
A correler avec le concept du Cloud:
Le jeudi 3 décembre cette annonce est arrivée partout
Introducing Google Public DNS: A new DNS resolver from Google
http://googlecode.blogspot.com/2009/12/introducing-google-public-dns-new-dns.html
En deux mots: Google donne le choix à tout utilisateur Internet de se passer du resolver DNS de son FAI. J'aime bien, cela donne de la concurrence là ou cela a manqué.
Rédigé par : Elisabeth Porteneuve | décembre 06, 2009 à 10:46 PM
Vous manifestez un anthousiasme un peu précipité pour ce que vous qualifiez de révolution. Le mot "cloud" tout d'abord. Dans les années 90, nous avions coutume de représenter le réseau, l'Internet, par une bulle en forme de nuage dans les schémas décrivant les architectures. Le "cloud", le nuage, ne représente absolument rien d'autre que l'Internet. Je ne vois pas en quoi la "pauvreté de la langue française" serait en cause.
Le "cloud computing" n'est rien d'autre qu'une application client serveur avec un terminal de consultation léger. Encore une fois, pas grand chose d'original. Dans les années 90, nous appelions cela "net-centrex" ou "net-centrique" pour designer un service fourni par le réseau.
L'application de email généralement donnée par le marketing de Google pour illustrer le cloud est falacieuse.
Dés les origines (années 80), le mail est une application serveur. On envoie les mails avec SMTP, mais on va relever son courrier dans une boite aux lettres avec POP (post office protocol). Google n'a rien inventé et gmail n'est apparu que tardivement.
Hors le mail, je ne vois personne de sérieux confier ses données au réseau et à une entreprise privé. Il faut être parfaitement inconscient. Alors qu'il suffit d'installer Linux Ubuntu et des logiciels open source tous gratuits.
Alors calmons nous. Non seulement tout cela n'a rien d'une révolution, mais en plus, cela a peu de chance d'arriver.
Rédigé par : JF Susbielle | janvier 17, 2010 à 05:29 PM
Certains disent cela...oui je suis peut-être un peu enthousiaste, mais c'est comme ça.
Beaucoup de gens sérieux confient déja leurs données à des hébergeurs "classiques", le Cloud ne changera rien sur ce point précis.
Il y a une petite contradiction dans votre conclusion: si ça ne change rien, c'est déja arrivé. Si ça n'a rien de révolutionnaire, ce n'est pas une utopie. On peut faire l'une des deux critiques, mais pas les deux à la fois.
Rédigé par : Pierre de La Coste | janvier 19, 2010 à 05:36 PM
Comme le suggère JF Susbielle, le "Cloud Computing" est une appellation marketing qui masque la substance réelle de la chose. Sans cette couche de marketing, ladite chose s'appellerait "Star Computing" ou informatique centralisée.
Ton titre "Qui tient le "Cloud", tiendra la Gouvernance" me parait juste, mais cela me suggère deux remarques:
1 - Dans le réseau se développe plus que partout ailleurs un phénomène universel appelé "l'effet de réseau" qui fait qu'en dernier ressort "the winner takes all". Aussi, à n'en pas douter, celui qui aura le plus gros "Cloud" (centre) tuera immanquablement tous les autres et englobera l'ICANN et tout le reste, c'est à dire au final le système monétaire.
2 - Il y a une chose que les USA ne développent guère étant donné qu'ils sont occupés à développer ce fameux Cloud, c'est l'informatique réellement acentrée, symétrique et libre, qui dans de nombreux domaines peut rendre exactement les mêmes services que le Cloud en question, et sans doute d'autres encore.
Aussi, on peut mettre en doute tes conclusions et les conseils que tu sembles donner en filigrane à la bonne NKM. Si la France et l'Europe s'amusent à entrer en compétition avec les USA sur son terrain, la faillite est parfaitement assurée. Cela ne fournira des emplois qu'aux artisans de cette faillite), le tout sur des crédits publics... Au bout du compte, il est parfaitement illusoire de penser que le développement à grand frais d'un Cloud concurrent puisse enrayer la fuite des cerveaux et donner quelque pouvoir de négociation globale que ce soit face aux américains.
Par contre, si la France et l'Europe se mettaient à développer le modèle alternatif que je signale, elles obtiendraient un surcroît de souveraineté tout en apportant globalement à l'internet et au monde un système plus résilient et durable que la cathédrale US.
Bien entendu, prendre une telle décision impose d'avoir une vision et de résister au mimétisme. C'est précisément ça qui manque aujourd'hui...
Note : Dans le sens de ta remarque finale "Ce jour-là, c'est certain, le vrai pouvoir sera ailleurs", voir certains signes qui indiquent que la question de la "Neutralité du Net" se déplacent subrepticement du contrôle des tuyaux à celui des contenus et des services...
Rédigé par : OlivierAuber | janvier 20, 2010 à 10:46 AM
Oups, j'ai oublié le lien:
http://perspective-numerique.net/wakka.php?wiki=ReseauxEtReseau
Rédigé par : OlivierAuber | janvier 20, 2010 à 10:47 AM
Il y a, me semble t-il, dans les commentaires qui indiquent que rien de nouveau n'arrive, une perte de vue de l'essentiel. Il ne faut pas s'arrêter aux messages marketing que l'on nous sert (il en faut bien un peu) et regarder ce qu'il y a derrière. De mon point de vue, le cloud permet avant tout de réduire les coûts, on ne paye que ce que l'on consomme contrairement à aujourd'hui où tout est forfaitisé. Et ça, par les temps qui courent, ça me semble une bonne chose pour les entreprises.
Ensuite, "Il suffit d'installer ubuntu et du logiciels libres ..." s'adresse, pour le moins à des connaisseurs au mieux à des experts. Malgré tout mon enthousiasme pour le logiciel libre, je suis bien obligé de reconnaitre aujourd'hui que la très grande majorité des gens que je cotoie ne sont pas pas capable d'installer facilement du logiciel libre.
Exemple simple : quasiment tous les membres de ma famille m'ont demandé comment faire pour gérer et modifier un peu leurs photos ... et le résultat est : ils sont tous inconscients et probablement un peu sot puisqu'ils n'y arrivent pas.
Il faut que les tenants du savoir informatique arrêtent de défendre leur supériorité chèrement acquise et admettent que __tous__ le monde doit pouvoir __facilement__ utiliser des ressources informatiques.
Le logiciel propriétaire n'apporte, à mon avis, pas de meilleures solutions et reste compliqué (et opaque, ce qui est pire)
Pour l'instant la seule chose qui marche un peu moins mal que le reste, c'est de n'avoir rien à installer et de mutualiser les ressources.
De plus quand on parle de l'internet des objets, de la communication machine-to-machine tout azimut, on ne vas pas s'imaginer que la moindre machine à laver (chère au coeur de Pierre ;-) ) va embarquer une puissance de calcul monstrueuse, elle sera seulement capable de communiquer et ira utiliser au moment opportun de la puissance de calcul dans le cloud.
Pour finir, il me semble qu'il y a la tentation de vouloir absolument se différencier pour éviter de se bagarrer sur le même terrain que les autres. Développer des solutions alternatives et favoriser la concurrence c'est très bien, mais il faut ensuite les _vendre_ au propre comme au figuré. L'approche théorique n'a jamais remporté la partie contre les pragmatiques (pour les technos : les sept couches du modèle OSI vs TCP/IP)
Apppliquons les principes qui ont amené le développement d'Internet, développons en fonction de nos convictions et que le meilleur gagne.
Rédigé par : AnonymousCoward | janvier 20, 2010 à 02:09 PM