Après l'impact, apparemment gigantesque, de Facebook sur les événements qui secouent le monde arabe, on peut se poser la question : assiste-t-on au triomphe du « soft power » américain?
Le soft power numérique a été notamment théorisé par Hillary Clinton, qui en a fait la marque de fabrique de la diplomatie américaine sous administration démocrate. Contrairement à l'administration Bush, adepte de la méthode forte, les États-Unis allaient dorénavant privilégier des relations extérieures appuyées sur la diffusion des technologies de l'information, de l'Internet et notamment des réseaux sociaux.
Le paradoxe, c'est que Hillary Clinton et la diplomatie Obama ont payé les pots cassés d'une erreur de l'administration républicaine, dans le domaine des technologies d'information. L'affaire Wikileaks est due à une très sérieuse faille de sécurité dans le système d'information des ambassades américaines, tel qu'il a été remodelé à l'époque Bush. En voulant rendre accessible à presque tous les échelons de l'armée américaine, les informations diplomatiques, les autorités ont mis celles-ci à la merci de la première défaillance humaine.
En revanche, la vision d'Hillary Clinton semble avoir été prémonitoire. Mais, comme le montre le toujours excellent OWNI, la diplomatie américaine est schizophrène sur le sujet. Comment refuser à Wikileaks ce que l'on accorde à Facebook? Comment prôner la transparence uniquement quand elle joue contre les ennemis de l'Amérique?
Cette position est d'autant plus difficile à tenir, que la dernière opération de Wikileaks a joué un grand rôle, aujourd'hui minoré, dans le déclenchement des troubles en Tunisie, comme nous l'avons dit dans le précédent billet. Les Tunisiens n'y ont certainement pas appris que Ben Ali était corrompu. Mais ils ont su que le monde entier le savait, et que d'autre part cette corruption avait atteint de tels sommets, qu'elle inquiétait les occidentaux, largement complices du système Ben Ali.
L'Europe, par défaut?
En réalité, il n'y a que des nuances entre les administrations républicaines et démocrate. Depuis des décennies, pour les sphères dirigeantes américaines, l'Internet c'est la liberté, la liberté c'est la démocratie, la démocratie c'est l'Amérique et l'Amérique c'est la puissance des grandes entreprises américaines.
Il ne faut d'ailleurs pas généraliser. Ce qui est valable pour la Tunisie, petit pays entièrement appuyé sur le tourisme, ne l'est pas forcément pour la Chine, capable, elle, de fabriquer son propre Internet, obéissant à ses propres lois.
Para ailleurs, je n'ai pas changé d'avis sur Facebook. En dépit de son rôle positif dans les événements récents, cette entreprise américaine, plus encore que les autres, ne respecte pas les libertés personnelles et pose donc des problèmes à la démocratie. Ou peut-être à une conception française ou européenne de la démocratie et des données personnelles, bien différente de la conception Anglo saxonne.
Les hauts et les bas du soft power américain, avec son mélange de naïveté et d'efficacité cynique, ne prouvent qu'une seule chose : face à la nouvelle situation dans le monde arabe, les Américains ne tirent pas toutes les ficelles, n'ont pas toutes les cartes en main. De la à dire que les Européens, par défaut, en détiennent encore quelques-unes...mais ce serait sans doute tomber dans le "wishful thinking".
Pierre de La Coste
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