Trois réalités à prendre en compte pour comprendre les mécanismes d'extension du blasphème à toute la planète, après la diffusion sur Internet d'extraits du film "Innocence of muslims".
Les musulmans ont été insultés. C'est un fait. Mais par qui ? Par l'Amérique ? Par l'Occident ? Pourquoi de nombreux musulmans, qui ne sont pas tous des fanatiques, considèrent que la provocation stupide d'un obscur escroc dont on ne sait pas grand chose emporte la responsabilité collective des États et des sociétés occidentales ? Plusieurs réalités, souvent oubliées dans la fièvre de l'actualité, expliquent très largement cet état de fait.
- Le "Village global" ! Il faudrait redonner tout son sens à la formule de Marshall McLuhan, victime de sa célébrité. La terre est un village. Cette évidence nous crève tellement les yeux, semble relever d'une telle évidence, que nous ne la voyons plus. Appliquée à notre affaire de blasphème, la formule du Village global doit être comprise strictement. Publier une image insultante sur l'Islam à partir d'un ordinateur situé en Californie, revient exactement à la même chose que placarder cette image en face d'une mosquée, dans un petit village d'Arabie saoudite. Or, feriez vous une chose pareille ? Évidemment, non.
- La deuxième réalité oubliée est l'objectivité du blasphème dans l'Islam, qui n'existe pas dans le christianisme. En effet, celui-ci ne considère dans le blasphème (comme dans la faute en général) que l'intention. Ainsi, lorsque une petite fille pakistanaise attardée mentale est accusée (à tort ou à raison) d'avoir brûlé le Coran, le blasphème est constitué et appelle un châtiment. Le christianisme, lui, ne verrait pas de blasphème si un fou piétinait une hostie consacrée. Ainsi, cette image sur l'écran d'ordinateur, n'est pas virtuelle, lorsqu'il s'agit d'un blasphème, mais bien réelle, aux yeux du musulman. Le blasphème est constitué, sur toute la terre.
- Enfin, l'Islam ne fait pas la différence entre société, individus et gouvernement. Dans une terre d'Islam traditionnelle (et c'est encore largement le cas aujourd'hui), il n'existe aucune distinction entre la charria et la loi civile ou pénale, aucun gouvernement n'est exempté d'appliqué les principes de l'Islam. Les non musulmans disposent d'un statut, celui de dhimis, qui les protège, tout en les soumettant. Il existe une fusion totale entre la vie sociale et religieuse, les deux étant rythmées par l'appel de la prière, les rites du ramadan etc...Le statut des femmes, évidemment, est fixé par la religion, comme la vie privée en général. Cette vision unifiée de la vie, les musulmans la projettent, à tort, sur l'Occident. Même si, au Moyen-âge, les travaux des champs étaient eux aussi rythmés par les cloches des monastères, une telle fusion du social et du religieux, du droit civil et du droit canon, du temporel et du spirituel n'a jamais existé en Occident. C'est ainsi que le pauvre ambassadeur américain en Tunisie a été "puni" pour un acte commis par quelqu'un dont il ne soupçonnait même pas le nom. Son gouvernement a des comptes à rendre sur tout blasphème commis en Amérique, voire n'importe où en Occident.
La structure même du réseau Internet complique encore le problème jusqu'à le rendre quasiment insoluble. Youtube a bloqué le film en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde. Mais une telle mesure est-elle efficace ? il faudrait également bloquer tous les réseaux sociaux, qui peuvent pointer sur tout autre site d'hébergement de vidéo...Autrement dit, à l'heure où les salafistes manifestent, brûlent des drapeaux américains et tuent des innocents, il n'existe déjà plus de solutions technique pour "répondre à leurs exigences", qu'elles soient fondées ou non...
Il nous faut donc apprendre à vivre dans un village, où doivent coexister des traditions et des conceptions radicalement différentes, dans une proximité de plus en plus grande. Les fanatiques sautent évidemment sur un problème sans solution pour faire avancer leur cause. Celle du chaos et de la terreur. Et les dernières caricatures de Charlie hebdo sont comme placardées en face de la mosquée, devant la foule qui gronde, au vu de l'imam qui appelle à la prière...On ne prend pas le chemin de la solution.
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